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Voici maintenant deux ans que je préside la FNTP et je suis toujours surpris, lorsque mes interlocuteurs voulant montrer l’intérêt qu’il porte au secteur que je représente, commencent par : comment va le Bâtiment ? Je sais que je suis ce matin devant des spécialistes qui ne confondent pas Travaux Publics et Bâtiment mais je voudrais en préambule, rappeler quelques chiffres qui permettront de mieux comprendre les évolutions divergentes de conjoncture entre B et TP que nous anticipons sur 2016.
Bien des points rapprochent Travaux Publics et Bâtiment : des techniques et des matériaux en commun, des entreprises qui exercent les deux activités, la comptabilité nationale qui ne fait pas de distinction.
Mais ce qui nous différencie :
- Notre poids économique : les entreprises françaises de bâtiment ont un chiffre d’affaires 2 fois plus élevé que les entreprises de TP.
- Notre capacité exportatrice : 40 % de l’activité Travaux Publics se fait à l’international contre 5% dans le Bâtiment.
- Notre tissu d’entreprises : notre activité est faite pour 1/3 par des PME, 1/3 par des ETI, 1/3 par les majors. En comparaison, 95% des entreprises de Bâtiment ont moins de 10 salariés.
- Nos clients enfin et surtout : dans les Travaux Publics, ils sont à 70% publics (46% collectivités locales) ; dans le Bâtiment, ils sont à 30% publics.
Et pour mémoire, nous construisons et entretenons des infrastructures et des réseaux, ce qui veut dire que nous ne construisons ni logements, ni bureaux, ni bâtiments industriels, publics ou commerciaux.
Le poids de la clientèle publique dans notre chiffre d’affaires explique en grande partie les contre performances du secteur cette année. Ces contre-performances sont hélas conformes aux prévisions présentées ici même voici un an. Septembre 2015, dernier mois connu a été notre 17è mois consécutif de baisse d’activité. Depuis fin 2007, les entreprises de Travaux Publics ont perdu près d’¼ de leur chiffre d’affaires.
En partant de la même année, notre secteur a décroché de 27 points par rapport au reste de l’économie française, avec un effondrement ces deux dernières années.
Après – 7% en 2014, 2015 devrait se terminer avec un chiffre d’affaires en baisse de -8%
avec des conséquences qui vont en s’aggravant :
- D’après notre estimation, 15 000 emplois permanents pourraient être détruits cette année. Cela représente une forte accélération par rapport aux années précédentes, puisqu’au total depuis le déclenchement de la crise, 33 000 emplois permanents auront été perdus dans le secteur.
- 266 entreprises ont été mises en redressement ou en liquidation ces 12 derniers mois d’août 2014 à juillet 2015, soit +66% comparé à août 2013-juillet 2014.
Après avoir tenté de maintenir leurs équipes permanentes au maximum, les entreprises de TP réduisent désormais massivement leur appareil productif.
Quels sont les causes de ce désastre ? On a beaucoup parlé, cette année, d’alignement des planètes sur le plan économique. Les Travaux Publics ont plutôt connu une éclipse qui a abouti à la pire année depuis 30 ans :
- L’effet habituel d’une année post-électorale pour les municipales, et électorale pour les départementales, a été amplifié
* par la baisse des dotations de l’Etat aux collectivités locales qu’elles ont directement répercutée sur l’investissement,
* et par le flou sur la réforme territoriale qui les a privées de visibilité et par là même d’initiatives.
- Ajoutons le rôle négatif de l’Etat,
1. qui a signé avec 18 mois de retard les contrats de plan Etat-régions, provoquant une année blanche côté travaux,
2. qui a utilisé 530 millions d’euros de crédits de l’AFITF, normalement destinés à financer les projets d’infrastructures, pour dédommager Ecomouv du renoncement à l’Ecotaxe
3. qui a mis 2 ans à signer, puis à sortir en août les décrets du plan de relance autoroutier qui n’engage pourtant aucun argent public.
- La décélération des travaux des grands projets ferroviaires parachève le profil d’une année, qui restera une année noire pour les entreprises de Travaux Publics.
Pour que l’activité TP se stabilise à son niveau actuel, c’est à dire à peine à celui du début des années 2000 et que les destructions d’emplois cessent, il faudrait un certain nombre de conditions qui, dans les hypothèses actuelles, ne sont pas remplies :
- Ainsi les ressources de l’AFITF devraient être de 1,9 MD€ comme en 2015, puisque la part de taxe sur le diesel affecté à son budget sera plafonnée à 715 M€. Ce qui veut dire qu’une partie des engagements pris ne pourra être tenue puisque ceux-ci impliquent un investissement de 2,5 MD€/an. Qu’est-ce que l’Etat choisira de sacrifier : l’entretien des réseaux routiers et ferroviaires (500 M€/an), le lancement
des contrats de plan Etat-Régions (1,1 MD€/an), les projets de transport en commun
en site propre (100 M€/an) ???
- Quant aux autres grands projets, il faudrait une accélération dans leur lancement pour limiter l’effet de la fin des grands chantiers de LGV (Tours - Bordeaux et Bretagne - Pays de la Loire). Le plan de relance autoroutier ne génèrera du chiffre d’affaires que sur la deuxième partie de l’année. Les retards sur les grands chantiers s’accumulent : les travaux du Grand Paris ne seront qu’en phase préparatoire et on
assiste à un lissage du programme de grand carénage des centrales nucléaires. Quant aux effets du plan Juncker, on ne les voit pas venir en 2016 dans les TP. Comme trop souvent, il y a eu beaucoup d’effets d’annonces cette année, sans traduction de court terme en travaux.
- Espérer une reprise de la demande des collectivités locales paraît également illusoire. Alors que la baisse des dotations de l’Etat sera encore de 3,7 MD€ en 2016, les mesures de compensation votées par l’Assemblée Nationale à l’occasion du débat budgétaire ne semblent pas à la hauteur : le fonds de soutien à l’investissement d’1 MD€ d’engagements ne comprend finalement que 150 M€ de crédits de paiement ; la possibilité de recourir au FCTVA pour les travaux d’entretien de voirie aura également un impact limité en 2016.
…Surtout lorsque l’on met en face la hausse des dépenses sociales des départements, la paralysie générée par les élections et les réorganisations des régions, l’attentisme provoqué par la loi NOTRe dans la répartition des compétences au sein du bloc communal.
En l’absence de mesures véritablement incitatives, une nouvelle fois, les travaux sur les infrastructures et les réseaux seront la variable d’ajustement.
C’est pourquoi la FNTP considère que le secteur des Travaux Publics n’atteindra pas son point bas d’activité en 2016. Nous anticipons une baisse de 3% du chiffre d’affaires :
- Seule la demande du secteur privé devrait légèrement progresser à +1%
- Les commandes de l’Etat devraient, au mieux, être stables.
- Le dynamisme de quelques grands opérateurs ne compensera pas la décélération des grands chantiers ferroviaires, d’où l’anticipation d’un repli de 2%.
- Mais c’est surtout la poursuite de la chute de la demande des collectivités locales à -6,4% en 2016 qui pénalisera les entreprises.
En conséquence le choc sur l’emploi que j’ai évoqué à maintes reprises depuis 2 ans se dessine : la destruction de 7 000 emplois est probable en 2016, en accompagnement de la baisse du chiffre d’affaires. Avec 42 000 emplois permanents - dont 9 000 emplois intérimaires perdus entre 2008 et 2015, nous ne sommes hélas plus très loin du scénario catastrophe des 60 000 emplois disparus d’ici fin 2017, dont je parlais l’an passé.
Je suis parfaitement conscient qu’on ne fera pas de travaux sur les infrastructures et les réseaux pour faire plaisir aux adhérents de la FNTP. Je voudrais seulement attirer l’attention sur la chute que connaissent les infrastructures françaises dans les classements internationaux de compétitivité. Il ne faudrait pas que ce qui a toujours été un atout pour notre pays devienne une faiblesse. Ainsi globalement nous sommes passés de la 4è à la 10è place en ce qui concerne la qualité de nos infrastructures dans leur ensemble. Nous qui nous félicitions d’avoir les meilleures routes du monde, ce n’est désormais plus vrai, nous sommes descendus à la 4è place. Et compte tenu de la chute des commandes en travaux routiers depuis deux ans, il est fort à parier que nous allons poursuivre notre descente dans les classements mondiaux.
Le calcul actuel consistant à repousser les travaux d’entretien des réseaux à d’hypothétiques jours meilleurs pour les finances publiques est un calcul de courte vue. Il reporte sur les générations futures une dette grise que l’on se refuse à voir. Cette notion de dette grise correspond au coût exponentiel des travaux non réalisés : sur une route par exemple, si les nids de poule ne sont pas bouchés, ils s’élargissent en fissures puis en crevasses aboutissant à la nécessité couteuse de refaire l’ensemble d’une route, là où des travaux d’entretien réguliers auraient été beaucoup plus économiques. Le même raisonnement peut se tenir sur les ponts ou sur les réseaux ferrés.
Plus globalement, si je suis très pessimiste pour l’année à venir, j’ai la conviction que l’avenir de notre pays passe par des infrastructures de qualité et que nos décideurs publics ne peuvent passer à côté durablement. Notre secteur est porteur d’avenir : on ne pourra assurer la transition énergétique, s’adapter au changement climatique, développer la France numérique ou même imaginer la ville de demain sans les réseaux adaptés. Les Travaux Publics ne sont pas l’une des données du problème, mais sa solution. La France a besoin de réseaux performants, bien entretenus et d’infrastructures intégrant de nouvelles technologies. La France a besoin de villes intelligentes, de réseaux communicants avec l’usager et les donneurs d’ordre se doivent de réinventer la mobilité quotidienne des citoyens ou même de renouveler la façon de produire et consommer l’énergie ! Les médias ont abondamment traité la route photovoltaïque mise au point par l’un de nos grands adhérents, mais beaucoup d’entreprises de Travaux Publics sont porteuses d’innovations qui
feront la France de demain et permettront à notre pays de se positionner à la pointe en matière d’infrastructures et de réseaux. Il faut qu’elles aient face à elles des interlocuteurs qui le comprennent et les accompagnent.
La « crise », chez les Grecs antiques, était l’instant décisif où il est nécessaire de prendre une décision, d’affirmer une stratégie. C’est l’instant où tout peut basculer. Aujourd’hui, nous devons convaincre nos décideurs publics pour sortir victorieux de cette crise : inverser la courbe de la qualité des infrastructures, lutter contre le réchauffement climatique et ouvrir une nouvelle voie vers des relais de croissance future.